La naissance du masque

La naissance du masque.

 Ce cycle de vie/mort présent à chaque instant dans nos vies est aussi le principe premier du masque. Ce besoin vital né de la dévoration, ce principe premier, cause de la cueillette et de la chasse conduit à cet instant sacré où, le mouvement quitte l'animal que l'on vient de tuer et laisse place au corps inerte et vide d'un être mort.


Image: Le Sorcier, Art Parietal, entre 17 000 ans et 25 000 ans avant JC.

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Ce corps, ce masque, cette enveloppe vide que le chasseur peut désormais saisir et plier à sa propre volonté, peut transformer cette forme en corps vivant en réinsufflant l'illusion d'un corps en mouvement. Ainsi le chasseur, en épousant cette enveloppe, peut désormais plus facilement approcher le gibier et couvrir son odeur. Par l'utilisation de ce nouveau corps, il lui sera désormais plus facile de donner la mort. Le masque devenant un outil de ruse permettant d'apprivoiser le vivant afin de mieux porter la mort.


Photo: La mort souriante, masque réalisé pour François Boursier. Cuir peint.

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Ainsi ce corps inaccessible parce qu'en mouvement, peut être rendu accessible par l'artefact qu'est le masque.

 

Masques morts et corps en mouvement.

 La fascination du masque sur le spectateur est due à cette opposition entre cette forme morte (le masque) et le corps vivant de l'acteur ou du danseur.

 Ce mouvement saccadé où la mort est dominante lorsque le comédien se fige dans une posture durant quelque secondes et qui, l'instant d'après revient à la vie par le mouvement qu'il exécute, perturbe notre inconscient.

Inconscient qui assiste à cet instant à un spectacle sacré où le vivant épouse la mort où la dualité première qui oppose le mouvement à la mort est rompue. ( Lorsque je parle d'inconscient, il ne s'agit pas simplement d'un inconscient personnel rattaché à un « je », mais plutôt d'un inconscient collectif, commun à l'espèce humaine, contenant la globalité du vivant et surtout la part non nommée ( donc non consciente) du monde qui nous environne et nous compose. Cette part archaïque de notre esprit contenant le tout, cette conscience d'avant le verbe.)

 

Ainsi le deux, le corps de l'acteur et le masque engendrent le trois qu'est le personnage, à la fois vivant et réel et à la fois mort et irréel.

 

Photo: Masque réalisé pour Carlos Estevez.

 

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La perception ordinaire du réel est ainsi brisée et cette rupture a permis le développement de la transcendance et du religieux chez l'homme. Le masque devenant un outil permettant d'accéder à un autre espace temps. De convoquer dans le même lieu: le monde des morts et des vivants.

Ainsi l'espace sacré est né, ce lieu ou par épousailles du masque mort et du corps palpitant du Chaman a surgi  la possibilité d'union des contraires et d'ainsi faire apparaître dans cet espace sacré le monde du ciel. C'est-à-dire: tout ce que nous ne pouvons ni toucher, ni saisir, ni nommer (le monde des Dieux, des ancêtres, de l'incréé) Ou ce que nous ne pouvons pas directement nommer: Le ciel, de notre espace intérieur (les émotions).

 Émotions qui au travers du masque, ont pu prendre forme, devenir lisibles et s'incarner, pour ensuite être nommées.

 Le ciel étant aussi le monde de tous les possibles passés et futurs (non encore incarnés) tout comme l'obscurité totale, qui puisqu'elle empêche de voir ce qui nous environne est aussi le monde de tous les possibles. Car tout semble pouvoir jaillir de cette noirceur primordiale de l'indifférencié, c'est le retour à la soumission à un corps d'émotions. Un monde intérieur fait de chair et de sang, composé de nos peurs, manques et obsessions. Un enfer peuplé de démons.

Alors que le ciel qui reste visible contrairement à l'obscurité, désigne plutôt le monde désincarné des ancêtres et des Dieux, un monde d'avant et d'après la matière, le monde du verbe, du Logos, de l'incréé.

Le monde non encore incarné est illustré dans la tradition du Bouddhisme Zen sous la forme du jardin Zen.

Le jardin Zen masque de la dualité première du monde. Espace mort fait de pierres et de vide, fait de pleins et de creux où le vivant n'est pas encore là, mais qui contient en lui tous les possibles du vivant.

La représentation d'un monde antérieur à la biologie où seuls le ciel et la terre sont exprimés sans cette ronde de vie et de mort qu'engendre le vivant. Espace vide, masque du monde comme un squelette du réel où la chair n'a pas encore été posée.

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Le masque a permis de rendre visibles et lisibles, face au groupe, les mouvements intérieurs que sont les émotions et les sentiments. Il a permis de les extérioriser en devenant le support illustratif du démon colère (par exemple) qui autrement sans le langage, nous submergent et nous soumettent a leur bon vouloir. Le masque a permis de les nommer, de les différencier et de commencer à les dompter.

C'est pourquoi, pour les sociétés premières les mots renferment en eux par le pouvoir qu'ils donnent: une puissance créatrice.

 

Texte: Den facteur de masques de théâtre. denmasques@cegetel.net

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